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« La révolution des couples à double-carrière : accompagner les hommes et les femmes, dépasser les stéréotypes »

Mercredi 1 octobre 2014

Marion Braizaz, journaliste pour la revue internet “Womenology” m’a rencontrée, afin d’échanger autour des couples à double carrière et de la situation entrepreneuriale en France.

Retour sur l’interview :

Quelle est la situation de l’entreprenariat féminin en France ?

Un créateur sur 3 est une femme. Même si les chiffres augmentent : elles rencontrent néanmoins encore des freins dans leurs projets de création qu’on peut classer en 2 catégories :

  • Un manque de confiance en leur capacité à entreprendre, rejoignant leur manque de confiance en elle-même de façon générale. Je précise que ce manque de confiance est le résultat de construits sociaux et non d’une quelconque naturalité.
  • Ce qu’elles éprouvent de difficultés de conciliation entre vie privée et professionnelle.

L’exemple des couples à double carrière que j’ai étudiés prouve que cette conciliation est d’une certaine manière quelque chose qui se joue dans le couple dès le début de la vie professionnelle et de la vie de couple. Ces couples démontrent que quand l’ambition de faire carrière est claire dès le départ pour les deux parties, ils mettent en place des processus facilitateurs même si ceux-ci ne règlent encore pas tout, les femmes se sentant encore de nos jours plus impliquée que les hommes dans la vie du foyer. Ce dernier point peut expliquer que les femmes créatrices sont plus âgées (en moyenne 48 ans) que les hommes. En général, elles attendent que leurs enfants soient élevés pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Pour bon nombre d’entre elles, la création d’entreprise est un moyen de reprendre une activité professionnelle. Avant de devenir chef d’entreprise, 41 % des femmes étaient demandeuses d’emploi et 11 % étaient « inactives », c’est-à-dire femmes au foyer ou retraitées. Néanmoins, très peu déclarent s’être senties obligées de créer une entreprise au regard de leur situation. Les motivations le plus souvent avancées sont le désir d’indépendance (59 %) et le goût d’entreprendre (36 %).

Les femmes dirigeantes sont-elles différentes des hommes ?

De quelles différences parle-t-on ? Différences dans leur façon de diriger  ? De manière générale, il existe de grandes différences dans la façon de diriger selon les individus en fonction de leurs parcours, de l’éducation qu’ils ont reçus, de leur milieu d’origine, de leur génération etc. Que l’on soit un homme ou un femme, nous portons tous des acquis qui bien souvent nous dépassent. C’est d’ailleurs à cela que sert le coaching de dirigeants : à prendre conscience de ses acquis afin de les transcender. Le coaching de dirigeant sert à avoir le choix, c’est-à-dire à cesser de subir ses propres comportements, ses croyances limitantes, ses réflexions qui butent à ses propres cadres. C’est un travail issu de la maïeutique socratienne qui permet d’être plus juste dans sa fonction et à la place qu’on a choisie. Pour reprendre les mots de Sartre : “L’important n’est pas ce qu’on a fait de moi, mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi“. C’est vrai pour les hommes comme pour les femmes.

Si je dois préciser quelque chose pour les femmes, c’est juste que, globalement, leurs construits sociaux, leur éducation, ne les a pas préparées à occuper des postes de direction dans des organisations. En caricaturant, je dirais qu’il est plus difficile d’apprendre à diriger une équipe quand on a passé sa jeunesse entre un piano et une barre de danse classique que comme capitaine d’une équipe de football. Cela demande aux femmes, un apprentissage qu’elles vont devoir faire plus tardivement et le plus souvent dans la vie professionnelle. D’un autre côté, le management d’aujourd’hui réclame des qualités nouvelles d’écoute, d’attention à l’autre, de bienveillance, que tous les dirigeant-e-s ont besoin d’apprendre d’urgence sous peine de désengagement collectif massif.

Quels sont leurs profils, leurs parcours ?

Profils et parcours dépendent des générations. Les plus anciennes sont souvent sur-diplômées. Elles l’ont été à une époque où il y avait beaucoup moins de femmes dans les grandes écoles. Si ellles ont un parcours très proches de celui des hommes, elles ont souvent mis plus longtemps pour arriver là où elles sont. Surtout celles qui ont fait ce que j’appelle des « faux temps partiels », ces temps partiels où on travaille autant mais où on prend son mercredi. De façon générale, un temps partiel, vrai ou faux, fait perdre 2 à 4 ans.

Le temps du couple à double carrière est-il arrivé ?

Contrairement aux « couples à deux actifs », l’augmentation des couples dits « à double carrière » représente un phénomène assez nouveau du fait de l’évolution récente de la proportion des femmes attachées à poursuivre une carrière de la même manière qu’un homme. Le sacrifice de leur vie personnelle et familiale n’a pas paru, à ces femmes, indispensables pour faire carrière. Cela aussi est un phénomène nouveau ! Dans le cadre de l’entreprise, la féminisation de l’encadrement et des professions s’est intensifiée depuis une quinzaine d’années, allant de pair avec le développement de l’accès des femmes à l’enseignement supérieur. Les grandes écoles se sont ouvertes aux femmes par étapes, et sont devenues réellement mixte il y a une trentaine d’années. En 2005, les femmes étaient présentes à 49% dans les écoles de management (1). En 2008, 50,9% des femmes sortant depuis moins de 6 ans de formation initiale étaient diplômées du supérieur (contre 30,9% des hommes) les universités comptaient 57,6% d’étudiantes en 2009-2010 (2).

Aujourd’hui, les diplômées du supérieur s’insèrent sur le marché du travail dans des conditions proches de celles des hommes parmi les cadres d’entreprises même s’il existe des limites à « l’effet diplôme ». Le « plafond de verre » existe encore mais les catégories ‘cadres’ et ‘cadres supérieurs’ se féminisent progressivement. Oui, les femmes ont souhaité faire des carrières et pour cela elles ont fait des études. Elles n’ont pas pour autant renoncé à construire une famille, comme le faisaient celles qui travaillaient comme deuxième salaire, sans réelle volonté de carrière. Comme je l’ai déjà souligné, le modèle où les deux travaillent (dit « couple à deux actifs ») n’est pas un modèle récent. Dans ce modèle, un homme cadre est rarement en couple avec une femme cadre. A contrario, les femmes cadres sont majoritairement en couple avec des hommes cadres (3).

Cela vaut pour les femmes cadres supérieures et les dirigeantes, elles aussi mariées à des hommes cadres supérieurs ou dirigeants. Ainsi, ils forment les « couples à double carrière ». Ces femmes et ces hommes se rencontrent lors de leurs études ou un peu plus tard, dans un bureau, chez des amis communs ou en vacances. Ils décident de faire route ensemble et de fonder une famille tout en s’impliquant dans une activité professionnelle. Les premiers n’ont pas su tout de suite dans quelle galère ils s’étaient jetés … Ils n’ont pas perçu non plus qu’ils étaient en train de fomenter une révolution : celle des fondements mêmes de notre société, un tel bouleversement que nos habitudes, nos codes ancestraux, nos valeurs mêmes allaient être remis en questions. Cette révolution a été prise à bras le corps par la jeune génération, celle qu’on appelle la génération Y, qui croit même que la révolution est finie et qu’il n’y a plus rien à faire …

« Le marketing de soi » doit-il être genré, c’est-à-dire réalisé différemment selon si l’on est un homme ou une femme ?

Le marketing de soi est un travail qui va de pair avec l’envie d’accéder à des nouvelles responsabilités. Il s’associe aussi avec les notions d’employabilité et de rupture de carrière dans un monde où il sera de plus en plus difficile de faire toute sa carrière dans la même entreprise. Dans tous les cas, la notion même de carrière linéaire est mise à mal à la fois par les incessantes réorganisations dans les entreprises et par des individus prêts à prendre des risques pour préserver ce qui leur semblent essentiel comme leur famille par exemple. Le marketing de soi n’est donc pas genré en lui-même : il amène chacun et chacune à réfléchir à soi comme devant être visible, présent et actif dans des communautés (réseaux, réseaux sociaux, associations, etc), comme devant apprendre à mieux communiquer, à être en permanence en éveil en ce qui concerne sa vie professionnelle. Il est amusant de constater que dans le cadre du coaching, des hommes et des femmes peuvent entretenir le même discours par rapport à ces questions : « je n’aime pas me montrer », « je trouve que c’est une perte de temps », « je veux être transparent-e », etc.

Là aussi, chacun vient avec un construit qu’il va falloir décoder. Ce construit peut être genré évidemment, mais aussi lié au type d’études (scientifiques, ou commerciales, par exemple), à l’histoire familiale (certains familles cultivent la discrétion voire le secret et d’autres aiment briller par exemple), aux origines géographiques et culturelles…

Quelles sont les difficultés/avantages rencontrés par les femmes dans le monde professionnel ? En quelques mots, comment accompagnez-vous les femmes ?

Tout accompagnement demande de l’écoute et de la bienveillance, mais aussi, de mon point de vue, une compréhension du monde dans lequel on vit. Mon appétence sociologique me permet d’être à l‘écoute du monde et de ses grandes mutations. Je mets cette écoute au service des femmes afin qu’elles se réapproprient ce qui leur a été imposées par la société dans laquelle elles ont grandi, et le transforment en eveil d’elle-même. Il s’agit aussi parfois qu’elles apprennent les règles d’un jeu qui a été construit il y a fort longtemps par les hommes qui ont créé le monde de l’entreprise Connaître les règles permet de les faire évoluer. J’ai été confortée dans cette approche lorsque j’étais présidente de mon groupe. J’en fais donc profiter mes clientes. Accompagner les femmes, c’est leur faire prendre conscience des potentiels dont elles recèlent et qui dépassent les archétypes et les stéréotypes dont elles se font parfois elles-mêmes ambassadrices.

Propos recueillis par Marion Braizaz
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(1) Etude APEC 2005 « Cadres le temps des femmes »
(2) selon le rapport publié par le ministère des solidarités et de la cohésion sociale « Chiffres-clés 2010 de l’égalité entre les femmes et les hommes »
(3) Pochic